Salut les cinéphiles,
Aujourd’hui, je vais vous parler – avec le moins de spoilers possibles, mais quelques détails suffisants pour comprendre à quoi je fais référence si vous l’avez vu – d’un film vu hier. Il s’agit d’À Contretemps, un film espagnol (En los Margenes) sorti en salle ce mercredi et qui traite de la question des expulsions des plus pauvres en Espagne.
L’intrigue se déroule à Madrid, une ville qui, comme beaucoup d’autres en Espagne, a été le théâtre d’une vague d’expulsions sans précédent ces dernières années. Le film nous plonge dans l’histoire de plusieurs personnages dont les destins se croisent au cœur de cette ville bouillonnante.
Le synopsis permet bien de s’en rendre compte : Rafa, un avocat aux fortes convictions sociales, a jusqu’à minuit pour retrouver la mère d’une fillette laissée seule dans un logement insalubre. Sinon, la police placera la petite en foyer. Dans sa course contre la montre, Rafa croise la route d’Azucena, une femme injustement menacée d’expulsion, qui pour s’en sortir, tente de provoquer une révolte citoyenne. Alors que les heures défilent implacablement pour ces deux âmes en lutte, Madrid devient le lieu de toutes les colères.
Un scénario déroutant
Le traitement de l’intrigue est déroutant, car il s’agit d’un film de destins croisés. Certains personnages ne se parlent pas de tout le film, plusieurs intrigues sont présentées en parallèle, sans qu’on nous explique vraiment les interactions possibles entre chacune. Il faut les deviner petit à petit ; parfois, c’est explicité de manière très concrète et visible, parfois, c’est un détail qui permet de comprendre les liens entre les personnages.
C’est déroutant, mais efficace si on se plonge bien dans le film. Une difficulté peut alors être le fait de voir le film en VO, car les sous-titres peuvent empêcher d’être plongé correctement dans le film. On note d’ailleurs que les sous-titres font l’économie de morceaux entiers de phrases parfois – l’espagnol est une langue qui va vite ; pas le temps de tout lire, donc pas de traduction de tout. L’essentiel y est, heureusement.
Des performances marquantes
Le film représente de manière violente les expulsions en Espagne et à Madrid. Les personnages présentés sont tous attachants, plein de défauts… mais donc terriblement humains. Ils nous ressemblent, mais ont fait de mauvais choix par le passé – des choix qu’on aurait pu faire passer nous-mêmes. Le film fait passer un message et demande clairement un changement ; il se fonde sur l’espoir d’un changement possible.
Au milieu de tout ça, Penelope Cruz est à contre-emploi de ce que j’attendais dans le film. Son rôle d’Azucena est vraiment marquant, parce qu’on sent le visage de l’actrice marquée par le stress, la pauvreté, les angoisses… La coupe de cheveux et le maquillage aident évidemment, mais il y a tout un tas de détails, notamment dans la posture de l’actrice, qui aident à y parvenir également. Le personnage se démarque par son désir de s’en sortir, par l’amour maternel, par l’urgence et le désespoir de sa situation.
Luis Tosar est également incroyable dans le film : il incarne un militant qui néglige sa vie personnelle pour venir en aide aux autres, mais qui finit par faire des dégâts collatéraux sans le vouloir, sans jamais parvenir à ses fins. C’est un personnage extrêmement touchant, qui fait face en permanence aux difficultés et à l’horreur de la société en marge qu’il fréquente. L’acteur parvient très bien à incarner son personnage, son duo avec le personnage du beau-fils est une belle réussite du film, qui montre comment 24h peuvent bouleverser un destin et une vie, le tout en étant toujours dans la précipitation.
Cette idée est mise en scène par le réveil au début et à la fin du film : nous assistons à seulement 24h étouffante dans la vie de quelques habitants de Madrid, mais il s’agit d’une journée chargée et bouleversante pour chacun d’entre eux – chacun à sa manière.
Une dénonciation efficace
Plusieurs aspects du film sont marquants, mais le plus marquant est indéniablement le message que veut faire passer le film. Il s’agit d’une critique sociale, sociétale ; critique du gouvernement et du système. Il ne faut pas y aller en espérant uniquement un happy end ou une résolution de l’ensemble des conflits.
Après tout, le sujet du film est une question préoccupante depuis la crise financière de 2008. Avec un taux de chômage élevé, une baisse généralisée des salaires et une grande précarité de l’emploi, des milliers d’Espagnols se sont retrouvés dans l’incapacité de rembourser leur crédit immobilier ou de payer leur loyer, ce qui a conduit à des expulsions massives. De plus, certaines personnes ont été victimes de spéculations immobilières, avec des ententes entre sociétés privées et l’État, qui ont entraîné leur expropriation et la démolition de leurs logements – et c’est exactement ça que veut mettre en scène et dénoncer À contretemps !
Le film présente alors des personnages en lutte contre un destin inexorable (décidément, je ne vois que ça en ce moment, c’était pareil avec Farang), contre un système qui les rend pauvre, contre un système qui laisse sur la touche les plus démunis, mais aussi ceux qui les aident. On finit par en oublier tout le reste : la mise en scène, la bande sonore n’ont que peu d’importance une fois qu’on est happé dans le stress du film. Pourtant, la réalisation doit jouer un rôle crucial dans cette représentation de la violence des expulsions… mais je suis bien incapable de me rappeler de moments précis de celle-ci. De même, il me semble qu’il y a eu un choix de laisser la bande sonore en retrait, permettant aux dialogues et aux bruits de la ville de prendre le dessus sur le reste. Je peux me tromper cela dit, car j’étais bien happé par le film. Côté musique, il y a tout de même le générique de fin qui parvient très bien à nous faire rester dans le même état que celui provoqué par les derniers instants du film.
Un film à voir si…
J’ai aimé le film, mais il est très particulier. Il n’est pas là pour nous détendre. C’est un film que j’ai vu pour le premier soir de mes vacances, et ce n’était peut-être pas le bon choix pour fêter des vacances. Cela dit, plusieurs scènes sont marquantes (la toute première et la toute dernière, notamment, la dernière réplique du film est très forte pour porter le message du film).
Je suis content de l’avoir vu : le problème des expulsions, je le connais pour l’avoir parfois traité en « khôlles » (les oraux en prépa littéraire) d’espagnol, mais c’était il y a dix ans et je pensais naïvement que cela s’était réglé tout seul. Finalement, non. « Content » n’est peut-être pas le bon mot, mais je trouve que le film réussit au moins ce qu’il souhaite faire : il me rappelle l’existence de ce problème et indique à quel point il est important de ne pas l’oublier. Il ne donne pas de solution, parce que la solution reste à trouver et est politique.
À notre échelle, on ne peut que compatir, aider les plus démunis autour de nous et veiller à éviter que cette situation dramatique ne s’installe elle aussi en France – elle existe, mais avec moins d’ampleur.
Je recommande ainsi le film à tous ceux qui connaissent un peu la situation ou qui veulent voir un film à message, aux fans des acteurs de ce casting (Penelope Cruz et Luis Tosar sont géniaux) et à ceux qui n’ont pas peur d’être déprimés en sortant de la salle.






